- Details
-
Category: Mitchell History Articles
Florence POIRIER - DATE 11/07/2008
La Naissance de la ville
Il est peu probable que le site de Cluses ait été occupé dès l’époque romaine, a contrario de son voisin Thyez, considéré par les archéologues comme un vicus romain. Au cours du haut Moyen-Age (au moins depuis le VIIIème siècle), une communauté d’habitants s’implante autour d’un lieu de culte chrétien : ainsi se constitue la paroisse, dédiée à Saint-Nicolas.
Le bourg se développe au fil des siècles et devient, à l ‘époque féodale, la capitale de la seigneurie de Faucigny. En 1310, le baron Hugues de Faucigny accorde aux Clusiens une charte des Franchises, un acte d’émancipation qui fixe les frontières communales, les droits des Clusiens, et crée un embryon d’organisation municipale avec notamment l’élection tous les ans de 4 syndics. On y entérine également l’existence d’un marché, le lundi, tout comme de nos jours! C’est en quelque sorte l’acte de naissance de la ville. Mais en cette même année, un violent incendie lui fait perdre son titre de capitale, au profit de Bonneville. Ce n’est qu’en 1355 que Cluses devient Savoyarde par la signature du Traité de Paris qui cède le Faucigny au Comté de Savoie [1].
Au cours du Moyen-Age et des temps modernes, la petite cité s’enorgueillit d’un couvent des Cordeliers (1471) installé ici pour « chasser l’hérésie » et d’un collège d’humanités (1642). Mais les guerres et les occupations étrangères successives, les disettes, les épidémies et les incendies freinent sa croissance. Les archives nous enseignent que Cluses comptait, en 1481, 100 « feux » (ou foyers), soit environ 450 personnes; en 1561, les Clusiens sont au nombre de 885, mais le chiffre retombe à 740 en 1700. Le XVIIIème est plus calme : en 1790, il y a 1600 habitants.
L’aventure économique
C’est en effet au début du XVIIIème que commence l’aventure économique de Cluses : un Faucignerand du nom de Ballaloud introduit dans la Vallée le travail de l’horlogerie ramené d’Allemagne. Il fait de nombreux émules car les habitants trouvent dans cette activité un complément substantiel à leurs maigres revenus agricoles. Cela leur permet ainsi d’éviter une émigration saisonnière voire définitive. Chacun se met ainsi à produire différents types de pièces entrant dans la composition des rouages de montre, qui sont ensuite revendus à Genève, grand centre horloger. Tout au long du siècle, le nombre des artisans-horlogers s’accroît. L’arrivée des Français sur le territoire savoyard en 1792, et donc de la Révolution, fait de Cluses un chef-lieu de district mais freine le développement économique. Le département du Mont-Blanc est créé. Mais les Clusiens ne semblent pas adhérer totalement aux thèses révolutionnaires. Ils perdent leur titre en 1795, encore au profit de Bonneville. La défaite de Napoléon en 1815 permet au roi deSardaigne, chef des Etats de la Maison de Savoie, de récupérer le territoire savoyard.
L’incendie de 1844
Blotti à l’entrée de la gorge, entre la montagne et la rivière, le bourg a subi de nombreux incendies. Celui de juin 1844 est catastrophique. La ville est totalement détruite. Quelques constructions échappent miraculeusement au désastre : le vieux-pont de 1674, l’ancienne église de 1735 aujourd’hui reconvertie en entrepôt, la fontaine de 1791 à l’entrée de l’actuelle place des Allobroges, de rares maisons particulières et l’actuelle église Saint-Nicolas. Grâce au syndic Firmin Guy, la ville est reconstruite entièrement selon un nouveau schéma : un plan à damier, avec une rue centrale (la Grande-Rue), un réseau de rues parallèles et perpendiculaires, deux larges places à chaque extrémité et des maisons hautes à arcade. Tout dans le plus pur style turinois [2] et tout comme Sallanches, incendiée quatre ans plus tôt. La ville s’éloigne alors de la cluse et occupe un terrain plus spacieux, plus sain. Le point central en est l’ancien couvent dont il ne reste que l’église devenue paroissiale en 1847 (on y remarque un superbe bénitier du XVème siècle classé « monument historique »).
L’école d’horlogerie
En 1848, pour compenser les effets désastreux de l’incendie, le gouvernement piémontais crée à Cluses une école royale d’horlogerie, qui va rapidement devenir un véritable centre de formation de techniciens horlogers. Lors de l’Annexion de la Savoie à la France, en 1860, l’établissement scolaire reste sous la tutelle de l’état. A la veille de 1914, l’école est la plus réputée des trois établissements nationaux existants alors ; son recrutement est international. De son sein sont sortis des hommes qui feront la renommée de la vallée, tel Louis Carpano. En plus d’être un centre de formation pour les jeunes, c’est un centre de diffusion des nouvelles technologies pour les entreprises. Il est aujourd’hui lycée Charles Poncet.
La révolution industrielle
Un autre facteur va grandement contribué au développement industriel de Cluses : la présence de la rivière d’Arve, source d’énergie pour les fabriques horlogères qui vont se développer à la fin du XIXème siècle. En 1890, le chemin de fer dessert la cité horlogère. Les principaux bâtiments publics se construisent durant cette période, comme l’hôtel de ville, inauguré en 1903. La Première Guerre mondiale marque un tournant décisif pour l’industrie locale. Le secteur de l’horlogerie est en crise. Au même moment, les besoins en armement ainsi que les progrès technologiques amènent aux entreprises clusiennes de nouveaux et nombreux marchés: elles se mettent à travailler pour l’armement, l’aviation, le téléphone, le cycle, l’électricité, ... en produisant en grande série des pièces détachées selon la technique du « décolletage », technique naturellement issue de l’activité horlogère et qui, avec le temps, va devenir une véritable industrie. La vis a été la production première de la profession. Son exécution à partir d’une barre correspondant au diamètre de la tête, nécessite pour l’exécution du pas, partie filetée beaucoup plus fine, une opération qui consiste à enlever le collet : d’où le mot « décolletage ». Parallèlement, Cluses s’agrandit : elle passe de 2208 habitants en 1901 à 3095 en 1936. Mais elle reste une petite ville, où tout le monde se connaît, et avec de fortes traditions locales comme le carnaval ou le festival des musiques.
L’âge d’or du décolletage
Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, l’activité horlogère se perd peu à peu, puis s’efface entièrement derrière le décolletage. C’est le début des « Trente Glorieuses », le boom économique de l’après-guerre, qui provoque un véritable « raz de marée » économique. En effet, les commandes se multiplient, les ateliers, les usines et les ouvriers aussi. Cluses devient « capitale du décolletage » et première ville du département au vu de son taux d’accroissement : de 3416 en 1946, le nombre des Clusiens passe à 9005 en 1962 et à 15268 en 1975. La ville s’urbanise avec frénésie : lotissements, zones d’habitations collectives puis zones industrielles se construisent dans des endroits demeurés jusqu’alors ruraux. Une révolution qui transforme Cluses du tout au tout.
Aujourd’hui, la ville s’est tournée vers la haute-technologie et diversifie ses productions. Citons pour mémoire la présence de SOMFY, le plus gros employeur de Cluses et leader mondial de l’automatisation des stores et volets roulants. Avec près de 20 000 habitants à l’aube du 3ème millénaire, la ville n’offre plus guère de possibilités d’expansion urbaine. La qualité du cadre de vie devient une priorité.
[1] . Comté qui deviendra Duché de Savoie en 1416
[2] . Turin étant alors la capitale du royaume
Archives municipales de Cluses Le bénéficiaire du prêt
Florence POIRIER Wallace CARNEY